Un groupe n’est pas une équipe

Paroles d'expert

22 mai 2018

Recruter dans un même groupe les meilleurs joueurs de foot, le meilleur à chaque poste, ce n’est pas constituer une équipe, ou pas la meilleure, pas toujours. Il faut encore qu’il y ait une réelle complémentarité entre les joueurs. Un bon recrutement y sera attentif. Mais une équipe, c’est aussi un organisme habité d’une âme. Ça ne se recrute pas facilement une âme. Et on n’ordonne pas à une équipe d’avoir une âme. L’autorité du coach – du manager – peut être utile, jamais suffisante. Donner une âme à son groupe et lui permettre ainsi de se constituer en équipe, c’est pourtant la responsabilité du manager – et une clef de la performance. C’est un paradoxe apparent, mais s’il s’agit de constituer une équipe, le meilleur manager sera peut-être celui qui en fera un peu moins. Pas si facile.

Un groupe n’est pas une équipe. Mais d’abord, un petit jeu, une devinette : quel nombre minimum de personnes faut-il pour constituer une équipe ?

Il y a toujours un petit malin pour répondre : une seule, une seule personne suffit pour faire une équipe. C’est ce que chantait Renaud qui faillit bien se noyer dans son autisme :

Je suis une bande de jeunes à moi tout seul
J’me fends la gueule

Ignorant la provocation, d’autres répondent : il faut au moins deux personnes.

Deux personnes, sourit le jeu, c’est un couple, pas une équipe, un couple ou un binôme. Au tennis, jouer en double, ce n’est pas jouer en équipe.

Trois alors ?

Non ! Trois personnes, c’est un trinôme, pas une équipe.

Quatre ?

Voilà, il faut quatre personnes au minimum pour constituer une équipe (mais onze pour une équipe de foot, et aussi des soigneurs, des préparateurs physiques, des remplaçants… même un président).

Ce n’est qu’un jeu, mais qui se prête à l’analyse.

Un binôme permet une relation réciproque, et une seule. Deux personnes et une seule relation, c’est la force et la complexité d’un couple, la puissance et la fragilité des binômes.

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Dans un trinôme, trois relations sont possibles, autant que de personnes.

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Mais à partir de quatre personnes, il se passe quelque chose de radicalement neuf : le nombre de relations possibles devient supérieur au nombre d’éléments (six relations possibles pour quatre personnes).

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Alors seulement peut se constituer une équipe, une manière d’écosystème avec ses interactions complexes : on parle de « dynamique de groupe », une force que nul ne peut réellement diriger, seulement orienter, ou animer (donner une âme ?).

Il faudrait donc au moins quatre personnes pour constituer une équipe. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. Encore faut-il qu’il y ait des relations interpersonnelles entre les individus pour qu’un groupe se constitue en équipe.

Un groupe n’est pas une équipe

Ci-dessous, il n’y a pas de relations entre les six collaborateurs du responsable – et donc pas de dynamique de groupe. C’est peut-être le souhait de ce responsable.

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Peut-être est-il jaloux de son pouvoir ? Ou soucieux de tout contrôler, d’être au centre de tout ? C’est à lui et à lui seul que chacun doit rendre des comptes.

Le besoin de tout maîtriser et contrôler exprime parfois une faille intime, une faiblesse, un sentiment de vulnérabilité… Dans le sociogramme ci-dessus, le manager est sans doute sur la défensive. Deux de ses collaborateurs (ici 2 et 3) échangent-ils directement ? Il soupçonne aussitôt un complot, une sédition, une forme de malveillance, une atteinte à son autorité ou à son pouvoir. Pourquoi ne lui rendent-ils pas compte ? Qu’ont-ils à cacher ?

Le déficit de confiance en soi de ce manager dégénère en déficit de confiance aux autres. Hors son contrôle, rien de bon ne peut advenir d’eux. Il craint même le pire… Et ainsi, il favorise inconsciemment un état de dépendance infantilisante chez ses collaborateurs ! Dont il ne manquera pas de se plaindre : ils n’ont aucune autonomie, ils sont incapables d’initiatives…

Ici, la personnalité du manager interdit au groupe de se constituer en équipe.

Dynamique de groupe

Dans le groupe ci-dessous en revanche, les échanges interpersonnels sont soutenus : échanges de services, d’informations, d’analyses, de conseils…

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Ça discute, ça parle… certainement ça chambre ! C’est un bon indice : se vanner suppose de la confiance. Il est un autre indice qu’il faut savoir observer. Dans un groupe qui s’est constitué en équipe, régulièrement, les gens emploient le « nous » : « nous » aurons de très bons résultats cette année… « nous » pouvons améliorer l’intégration des nouveaux… Ce « nous » exprime une solidarité élargie, qui n’a même pas besoin de se proclamer…

L’avez-vous remarqué ? Il n’y a pas de relations entre l’élément 1 et l’élément 2. Ces deux-là ne s’entendent pas ! C’est ainsi. Et pas si grave. L’organisme vivant de l’équipe, l’écosystème, saura compenser cette carence. Il lui survivra.

Dans une telle équipe, chacun est responsable de ses actes non seulement vis-à-vis de son supérieur hiérarchique, mais aussi vis-à-vis de chacun de ses collègues puisque ses actes personnels impactent la performance de l’équipe, et surtout son « être-ensemble ». Puisqu’il reçoit de tous, chacun est l’obligé de tous.

Ainsi suffit-il qu’une telle équipe s’empare d’un projet et en fasse le centre de ses échanges pour que celui-ci avance. Ce peut être la diminution des non-qualités, l’amélioration des prestations, la compétitivité… mais aussi la résistance aux injonctions de la hiérarchie, voire l’idée d’un mouvement social ! Une telle équipe est un organisme vivant dont la puissance et la créativité surpassent celle de toute organisation formelle.

Le manager de cette équipe a suffisamment confiance en lui pour faire confiance à ses hommes, et surtout à la dynamique de l’équipe ; suffisamment confiance en lui pour adopter un comportement d’humilité et savoir s’effacer. Il favorise les relations entre les membres de son équipe : demande conseil à Jean, il connaît bien ce marché… Pierre pourrait t’aider, c’est un domaine qu’il maîtrise bien… Tu peux faire confiance à l’expérience de Jacques… Parlez-en entre vous : vous êtes les mieux placés pour trouver la meilleure solution…

Mais que devient le responsable hiérarchique d’un tel organisme ? Sa position peut être symbolisée par le schéma suivant :

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Le manager n’est pas le centre de l’équipe, mais le guide. Il en est l’inspirateur, au mieux le modèle. Il est l’interface entre l’équipe et le monde extérieur (les autres services, la Direction…). Il imagine l’avenir à plus long terme, les évolutions… Après tous les échanges utiles, il décide de nouvelles orientations… En évaluant le travail et les comportements de chacun, il veille à ce que ne s’installent pas des parasites, des virus… Il interviendra fermement s’il juge qu’une des personnes de l’équipe trahit le contrat implicite qui la lie aux autres… Il sera encore le garant de l’orthodoxie de l’équipe vis-à-vis de la stratégie de l’entreprise, du projet commun, de ses valeurs… Mais surtout, il témoigne de sa confiance, de sa considération profonde de chaque personne, de son respect intime de la vie de l’équipe.

Car il est une chose qu’aucun responsable ne peut déléguer, aucun : son exemplarité.

 

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